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Le point sur la nouvelle loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial

Dernière mise à jour : 10 sept. 2020

La loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du code civil (ci-après la « Loi ») a été publiée au Mémorial A n°110 du 6 février 2018 et est entrée vigueur au 1er mars 2018, sauf dispositions transitoires dérogatoires.

Bail commercial

La Loi remplace la Section « Des règles particulières aux baux commerciaux » en introduisant les nouveaux articles 1762-3 à 1762-13 du code civil, et n’est en principe pas applicable aux baux de bureaux, ni aux baux de professions libérales (tels que les baux des médecins, avocats, ingénieurs-conseils, architectes, …), et ni au bail de courte durée inférieur ou égale à une année (disposition dite pour « pop-up store »), pour lesquels les dispositions générales du code civil restent applicables, laissant ainsi libre expression à la liberté contractuelle pour ce genre de contrats de bail non spécialement réglementés.

Le but poursuivi par le législateur était essentiellement de protéger les locataires de rez-de-chaussée commerciaux suite à plusieurs faillites retentissantes en Ville de Luxembourg.

Cette nouvelle Loi spéciale implique ainsi des changements sur les points ci-après.

1. Interdiction de la pratique des pas-de-porte

L’article 1762-5 du Code civil dispose dorénavant que :

« (1) Tout supplément de loyer payé au bailleur ou à l’intermédiaire en raison de la conclusion du contrat est nul de plein droit. (…)»

Cette disposition vise l’interdiction d’un pas-de-porte qui incite un bailleur à résilier le bail du locataire existant en contrepartie d’une indemnité payée par le nouveau locataire.

En cas d’inobservation de cette interdiction, un droit d’ordre public en remboursement d’un pas-de-porte indûment payé – même s’il a été stipulé dans un contrat signé et accepté par les parties – s’ouvre au locataire. Cette demande sera soumise à la prescription de droit commun (30 ans). Néanmoins, aucune sanction pénale n’est prévue.

2. Introduction d’un droit d’ordre public au renouvellement du bail commercial

L’article 1762-10 dispose que :

« Le preneur peut – ainsi que le sous-locataire, si le bail n’interdit pas la sous-location – à la fin du bail demander le renouvellement de celui-ci. Toute clause contraire dans le contrat de bail écrit refusant au preneur ou au sous-locataire cette faculté est nulle de plein droit.

La demande est à formuler par lettre recommandée adressée au bailleur avec accusé de réception à l’adresse indiquée dans le contrat de bail, sinon à son domicile ou siège social.

Elle doit être formulée, sous peine de déchéance, au moins six mois avant l’expiration du contrat de bail. Le bailleur devra dans les trois mois dès réception, faire connaître son avis.

S’il y a plusieurs bailleurs, la demande devra être adressée à chacun d’eux, sauf clause contraire prévue dans le contrat de bail. »

Le droit de demander le renouvellement est d’ordre public, de sorte que le locataire ne peut pas y renoncer par la signature d’une clause contractuelle.

La forme de cette demande de renouvellement est également précisée : il faut qu’elle soit formulée par courrier recommandé avec accusé de réception. La demande doit obligatoirement être formulée 6 mois avant le terme du bail, à défaut de quoi le locataire sera déchu de son droit. Cette sanction est prévue et s’appliquera d’office sans possibilité de régularisation.

Le bailleur devra répondre dans un délai de 3 mois à partir de la réception de la demande, à défaut de quoi il pourra être présumé avoir accepté la demande de renouvellement de la part de son locataire commercial.

S’il y a plusieurs propriétaires, par exemple en indivision successorale, il faudra adresser en principe la demande de renouvellement à chacun d’eux, ce qui nécessite que le locataire commercial ait les coordonnées de ces différents co-indivisaires, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Un locataire prudent prendra donc nécessairement les devants, et devra réunir toutes les adresses en temps utile.

3. Introduction d’un principe de tacite reconduction du bail commercial, sauf résiliation par courrier recommandé AR avec 6 mois de préavis

L’article 1762-7. (1) du code civil dispose que :

« (1) Le délai de résiliation du contrat de bail soumis à la présente section ne peut être inférieur à six mois. La résiliation est notifiée par lettre recommandée à la poste avec avis de réception.

(2) Sans préjudice de l’article 1739, tout contrat de bail qui vient à cesser pour n’importe quelle cause, est tacitement reconduit pour une durée indéterminée. (…) »

L’article 1739 du code civil précise que :

« Lorsqu’il y a un congé signifié, le preneur, quoiqu’il ait continué sa jouissance, ne peut invoquer la tacite reconduction. »

Un bailleur ne peut donc plus rester en attente de l’expiration du terme du bail mais doit prendre l’initiative d’une décision de résilier le bail avec 6 mois de préavis ou de laisser courir le bail qui sera tacitement transformé – après arrivée du terme – en bail à durée indéterminée, résiliable à tout moment avec un préavis de 6 mois jusqu’à ce que les parties sortent de leur silence.

4. Introduction de 3 cas d’ouverture limitativement énumérés pour résilier un bail commercial sans indemnité d’éviction au profit du locataire

L’article 1762-11, alinéa 2, dispose comme suit :

« Le bailleur peut résilier le bail avec le préavis prévu à l’article 1762-7 [de 6 mois], ou en refuser le renouvellement:

1. aux fins d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré ;

2. en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique ;

3. en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué. »

Cette disposition est d’ordre général.

Le cas d’ouverture n°1 exclut les ascendants et les descendants au 2ème degré (petits-enfants).

Le cas d’ouverture n°2 prévoit qu’en cas d’une nouvelle location aux fins d’une activité différente à celle du locataire existant, il est possible de résilier le bail commercial. La jurisprudence sera amenée à se prononcer sur la notion « d’activité identique », par opposition à « activité différente » ou seulement « activité similaire ».

Le cas d’ouverture n°3 ne vise pas la simple rénovation partielle mais prévoit la « reconstruction ou transformation » pour permettre au propriétaire de résilier. La jurisprudence sera amenée à se prononcer sur l’étendue plus ou moins importante des travaux effectués par le propriétaire se prévalant de cette disposition pour résilier le bail de ce chef.

En cas de violation de l’article 1762-11 alinéa 2 du code civil, la sanction ne sera pas le paiement de dommages et intérêts d’un minimum de 12 mois de loyer à titre d’indemnisation, tel que cela est prévu en matière d’invocation dolosive d’un motif de résiliation (par exemple : besoin personnel ou gros travaux) d’un bail d’habitation selon l’article 14 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail d’habitation.

En effet, cette sanction a été discutée et enlevée lors des discussions parlementaires. La sanction sera donc prévue par le droit commun, à savoir des dommages et intérêts à charge de prouver un dommage certain (sur la base de pièces probatoires) ce qui n’est pas nécessairement une chose aisée en pratique.

5. Mécanisme d’indemnité d’éviction après écoulement de 9 années de bail (Art. 1762-12 du code civil)

L’article 1762-12 du code civil dispose que :

« (1) Le bailleur peut toujours, au terme d’une durée de neuf années au moins d’occupation des lieux loués, résilier le bail, ou en refuser le renouvellement, sans devoir fournir de justification :

1. si le bailleur verse, avant la fin du bail au preneur une indemnité d’éviction ; ou

2. si un tiers verse l’indemnité d’éviction avant la fin du bail.

(2) A défaut de clause dans le contrat de bail permettant de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction, les parties peuvent saisir le juge de paix qui fixera alors le montant de l’indemnité d’éviction sur base de la valeur marchande du fonds de commerce pour l’activité en question. »

Il est prévu que la date de versement de cette indemnité d’éviction soit « avant la fin du bail ».

Cette exigence pourra être respectée si l’indemnité, ou le mode de calcul, est fixée dans le contrat.

Or, pour tous les baux ne fixant pas le montant de l’indemnité d’éviction, cette exigence de rapidité sera plus difficile à respecter.

Le montant de l’indemnité d’éviction devra être fixé soit par avance dans le contrat de bail ou sera fixé par le Juge de Paix sur base d’un seul critère, à savoir la « valeur marchande du fonds pour l’activité en question » de commerce.

Il est probable que le Juge nomme un expert pour chiffrer cette « valeur marchande du fonds ». La partie qui demande la nomination de l’expert devra en avancer les frais. L’expert aura un temps raisonnable pour rendre son rapport d’expertise. Pour le calcul de la valeur du fonds de commerce, on distingue au moins 3 méthodes d’évaluation: i. celle basée sur un % du chiffre d’affaires, ii. celle basée sur l’addition des éléments matériels et immatériels du fonds de commerce, et iii. celle basée sur un calcul de rentabilité (se concentre sur la profitabilité). La jurisprudence ne manquera pas de se prononcer sur l’étendue de cette notion de « valeur marchande » du fonds de commerce en question.

6. Limitation de la garantie locative (1762-5 (3) du code civil) à 6 mois de loyer excluant un montant supérieur

L’article 1762-5 (3) du code civil dispose comme suit :

« Les parties peuvent stipuler que le preneur fournisse une garantie locative qui ne pourra dépasser six mois de loyer, en vue de garantir le paiement du loyer ou de toutes les autres obligations découlant du contrat de bail. Le bailleur ne peut refuser une garantie locative sous forme d’une garantie bancaire à première demande ou de la souscription de toute assurance ou de toute autre garantie permettant de couvrir au moins six mois de loyer. »

La pratique de demander une garantie locative supérieure à 6 mois de loyer est ainsi interdite.

7. Interdiction pour le locataire principal de demander au sous-locataire un loyer qui est supérieur au loyer que le locataire principal paie au bailleur, sauf en cas d’investissements spécifiques

L’article 1762-6 (4) dispose que :

« Sauf en cas de sous-location où des investissements spécifiques à l’activité du sous-locataire ont été effectués par le preneur, les loyers payés au preneur par le sous-locataire ne pourront être supérieurs aux loyers payés par le preneur au bailleur. »

Ce nouveau texte impactera notamment les contrats de sous-location des brasseries avec leurs cafetiers. Sous les dispositions transitoires, il a donc été prévu que ce nouveau texte n’entre en vigueur que 12 mois après l’entrée en vigueur des autres articles de la nouvelle Loi avec pour but de laisser aux brasseries un temps suffisant d’adapter leurs contrats.

8. Remplacement du sursis commercial par un sursis à déguerpissement

L’article 1762-9 du code civil dispose que :

« Le bailleur peut demander au juge de paix une décision autorisant le déguerpissement forcé du preneur après écoulement du délai de résiliation. Le juge de paix peut ordonner à la requête du preneur ou du sous-locataire commerçant ou fermier, condamné au déguerpissement, qu’il soit sursis à l’exécution de la décision.

Le sursis, unique, ne pourra pas dépasser neuf mois et ne peut être accordé qu’aux conditions cumulatives suivantes :

1. tous les loyers et avances sur charges échus ont été réglés au jour de l’introduction de la demande;

et,

2. le sursis est accordé dans le but de permettre au requérant de trouver un autre immeuble en vue de poursuivre son activité et de répondre à ses obligations découlant des contrats de travail avec les salariés. »

En pratique, une requête en obtention du sursis au déguerpissement sera déposée après jugement de condamnation de déguerpissement afin de retarder l’exécution matérielle du déguerpissement.

9. Introduction d’un droit de préemption légal au profit du locataire commercial dont le bail court depuis au moins 18 ans (à l’instar d’un locataire de bail d’habitation)

L’article 1762-13 du code civil dispose que :

« Le locataire dont le bail court depuis au moins dix-huit ans bénéficie d’un droit de préemption sur les locaux loués, à moins que ceux-ci ne fassent l’objet d’une vente par adjudication publique ou qu’ils ne soient cédés à un membre de la famille du bailleur parent ou allié jusqu’au troisième degré inclusivement ou qu’ils ne fassent l’objet d’une cession gratuite.

Le bailleur adresse au preneur par voie de lettre recommandée l’offre de vente. Dans cette offre, le bailleur doit avertir le preneur qu’il a le droit de faire une contre-proposition. Le preneur dispose d’un mois pour user de son droit et pour faire éventuellement une contre-proposition. Son silence vaut refus de l’offre. Si le preneur a formulé une demande en obtention d’un prêt auprès d’un établissement financier établi dans l’Union Européenne, ce délai est prorogé d’un mois. Les locaux loués ne peuvent être vendus à un tiers qu’à un prix supérieur à celui offert par le preneur.

Le droit de préemption peut uniquement être exercé si le preneur a loué tout l’immeuble, respectivement si les locaux loués sont placés sous le régime de la copropriété.

En cas de vente des locaux loués à un tiers acheteur en dépit du droit de préemption existant dans le chef du preneur, le preneur lésé peut réclamer des dommages-intérêts au vendeur qui ne peuvent être inférieurs au montant des loyers d’une année. »

Jusqu’à présent, le locataire d’un commerce devait négocier et obtenir ce droit de préemption de manière contractuelle. Avec ce nouveau texte de loi, le locataire commercial bénéficiera de plein un droit de préemption légal sans besoin de négocier ce point. En cas de projet de vente de l’immeuble loué, le locataire commercial bénéficiera d’un droit de préemption à condition que le bail ait couru depuis au moins de 18 années (y compris les renouvellements et prolongations depuis l’entrée en vigueur du bail initial).

En cas de violation du droit de préemption par le propriétaire-bailleur au détriment du locataire commercial, la sanction est expressément prévue par la loi, à savoir l’obtention des dommages et intérêts au profit du locataire commercial. Ce texte pourrait avoir pour conséquence d’exclure une demande en nullité de l’acte notarié de vente protégeant ainsi les droits du tiers acquéreur conformément au principe « Pas de nullité sans texte ».

10. Entrée en vigueur

La Loi est entrée en vigueur le 1er mars 2018, et sera non seulement applicable aux contrats conclus après cette date, mais également aux contrats en cours, d’où l’intérêt pour les propriétaires-bailleurs de vérifier l’opportunité de résilier encore avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.

Cette applicabilité immédiate des nouvelles dispositions aux baux commerciaux en cours portera donc notamment sur le droit au renouvellement du bail commercial, l’indemnité d’éviction, et le droit de préemption en cas de vente de l’immeuble loué.

Une des exceptions à l’applicabilité immédiate de la Loi constitue l’interdiction de la pratique des pas-de-porte : cette pratique ne sera prohibée que pour le futur et un preneur commercial ayant payé un pas-de-porte avant l’entrée en vigueur ne saurait réclamer sur base de la nouvelle loi le remboursement de « commissions » qui ont été payées dans le passé en raison de la conclusion d’un contrat de bail commercial signé avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.

Luc JEITZ

Avocat à la Cour

luc.jeitz@jeitz-goerens.lu

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